RETAIL DESIGN : POURQUOI LE MAGASIN PHYSIQUE EST PLUS STRATÉGIQUE QUE JAMAIS

Comment réinventer le point de vente physique à l’ère du tout-digital ? Lors du salon SHOP! C!Brand en mars dernier, Elisa Servais, docteure en retail design, a livré une keynote inspirante sur la puissance stratégique de l’expérience en magasin. Une approche sensorielle, holistique et inclusive du retail qui redéfinit les règles du jeu. 

À contre-courant d’une vision utilitariste du point de vente, Elisa Servais défend une conviction forte : le magasin physique n’est pas mort — il est plus que jamais un territoire d’expression stratégique. « C’est le seul canal capable de mobiliser les cinq sens. Il permet de créer des expériences réellement mémorables », explique-t-elle en citant l’activation sensorielle de MiuMiu pour le Nouvel An chinois. 

Créer de la valeur : oui, mais laquelle ? 

Pour qu’un lieu de vente génère une réelle valeur ajoutée, il doit dépasser les attentes à chaque visite. Une ambition qui impose une cohérence forte entre l’identité de la marque, les aspirations des consommateurs et l’environnement proposé. L’expérience ne peut plus être un simple « plus » esthétique ou événementiel : elle doit devenir une brique stratégique du processus de conception. 

Elisa décompose cette approche en cinq piliers fondamentaux à considérer dès la phase d’analyse d’un projet retail : la marque, le consommateur, l’offre & service, l’espace, et enfin, l’inattendu. 

L’identité comme boussole stratégique 

Premier levier : l’identité de marque. Inutile d’imiter ses concurrents — mieux vaut affirmer une singularité. Dans le secteur du sport, Nike, Adidas et ON illustrent parfaitement cette logique de différenciation narrative et visuelle. « Chaque point de vente doit refléter l’ADN de la marque, tout en étant légèrement différent pour susciter la curiosité », rappelle Elisa, citant l’exemple des boutiques Aesop, toutes uniques, mais immédiatement reconnaissables. 

Deuxième levier : l’objectif. Est-il question de vendre ? De faire connaître la marque ? D’expérimenter un nouveau positionnement ? « On ne doit jamais reproduire en magasin ce qui est déjà possible en ligne. Il faut proposer autre chose. » 

Connaître son client, mais aussi ses intentions 

Côté consommateur, Elisa Servais insiste sur deux angles d’analyse : la personnalité (via des personas détaillés) et les motivations d’achat (plaisir vs. fonctionnel, autonomie vs. accompagnement). Ces insights permettent de créer des parcours clients différenciés et mieux ciblés. 

Un exemple marquant : la stratégie de Supreme, qui ouvre des boutiques pensées comme des lieux communautaires, co-construits avec les habitants des quartiers investis. Le résultat ? Des magasins perçus comme des lieux de vie plus que comme des points de vente. 

L’offre, l’espace… et l’effet de surprise 

L’offre et les services proposés doivent répondre strictement à l’objectif fixé. Un pop-up Hema centré uniquement sur des œufs de Pâques, un showroom Samsung sans vente mais axé sur l’éducation, ou encore un concept Levi’s orienté personnalisation : tous traduisent une intention claire, déclinée avec cohérence. 

Le lieu lui-même devient un outil de storytelling. À Anvers, une ancienne banque transformée en temple du luxe met en scène ses sneakers dans d’anciens coffres. À Mexico, Golden Goose investit une maison, conservant ses pièces d’origine pour créer une expérience domestique et immersive. 

Et puis, il y a l’inattendu. Celui qui surprend, fidélise et nourrit le bouche-à-oreille. Cela passe par l’innovation (Hermès et son expérience équestre en magasin), l’attention aux tendances (environnement hybride, art, bien-être) mais aussi l’anticipation sociétale. Un sujet cher à Elisa Servais : la prise en compte de la neurodiversité. Trop souvent oubliée, elle pourrait pourtant devenir un levier d’innovation retail. 

Vers un retail design plus intelligent et inclusif 

En conclusion, Elisa Servais appelle à une transformation du processus de conception retail : « Il faut sortir d’une logique purement esthétique pour aller vers une méthode plus stratégique, collaborative et inclusive. » Elle cite en exemple la campagne de Louis Vuitton avec l’artiste Murakami, pensée de manière globale, intégrant produit, communication, points de vente et expérience immersive. 

Le magasin du futur ? Un lieu sensoriel, singulier, porteur de sens — où chaque détail est pensé comme un lien entre la marque et son public. 

Elisa SERVAIS – Docteure en Retail Design