Retail : réinventer les raisons d’être du commerce physique

Longtemps annoncé comme moribond face à l’essor du e-commerce, le commerce physique fait une démonstration de résilience. Au cœur du salon SHOP! C!BRAND, la conférence inaugurale « Retail : de nouvelles raisons d’être » a réuni experts du design, professionnels du commerce et acteurs institutionnels pour décrypter les évolutions du secteur. Objectif : comprendre comment la boutique reste, aujourd’hui plus que jamais, un levier stratégique pour les marques.

Le point de vente, un canal de fidélisation rentable

« 84 % des Français plébiscitent encore les boutiques physiques », rappelle la journaliste animant le débat, citant l’Observatoire du commerce d’Avast 2024. En toile de fond, une réalité économique : face à l’augmentation des coûts d’acquisition clients sur le numérique, le magasin redevient un canal rentable. Loin de se limiter à une simple transaction, il devient un espace d’expérience et d’incarnation de la marque.

Du produit à l’expérience : une transformation des usages

Citant Howard Schultz, fondateur de Starbucks – « nous ne sommes pas dans le business du café mais dans celui de l’expérience client » – les intervenants s’accordent : la valeur d’un magasin ne repose plus uniquement sur l’offre produit, mais sur l’expérience proposée. Margaux Lhermitte, directrice retail chez CBA Design, évoque ainsi la boutique Here conçue pour Nike à Milan, pensée comme un espace communautaire dédié aux jeunes femmes. Soirées DJ, customisation, influenceurs : le magasin devient une extension physique de l’univers social de la marque.

Philippe de Mareilhac, président de MV Design, identifie cinq leviers d’expérience : relationnelle, produit, lieu, paiement et service. Chacun peut être activé pour enrichir le parcours client. L’exemple du Palais des Thés, avec ses thés sommeliers conseillant en fonction de l’humeur, illustre cette logique de personnalisation.

La boutique, laboratoire du digital

Loin de s’opposer, physique et digital se nourrissent mutuellement. Jean-François Brunet, délégué général du Conseil du commerce de France, rappelle que 53 % des achats en boutique commencent sur Internet. De leur côté, les retailers s’appuient sur les données générées en magasin pour ajuster leur offre en ligne. ETAM, par exemple, retire du e-commerce les produits essayés mais non achetés plus de 7 fois en cabine, optimisant ainsi ses retours.

Nouvelles marques, nouveaux modèles

Certaines marques disruptent les codes du retail traditionnel. C’est le cas de Gentle Monster, marque coréenne de lunettes dont chaque boutique, scénographiée comme une œuvre d’art, devient une destination en soi. Avec ses univers immersifs et une communauté très engagée, elle démontre que la théâtralisation du point de vente peut devenir un atout stratégique.

Vers une logique servicielle

Autre évolution majeure : l’enrichissement des magasins en services. Franprix propose désormais du pressing, Darty commercialise son abonnement Darty Max pour les réparations, et Kiabi développe des corners de seconde main. Moins de produits vendus, mais davantage de services : une stratégie adaptative face à la baisse structurelle des volumes de consommation.

Retail et développement durable : entre discours et réalité

La durabilité a largement traversé les débats. Si la conscience écologique est bien présente, sa mise en œuvre reste contrastée. La loi sur les emballages industriels de 2025 oblige les marques à repenser la fin de vie de leur mobilier et PLV. Philippe de Mareilhac évoque l’obsolescence esthétique, concept défendant des choix de design plus intemporels pour limiter les déchets. Mais il note une baisse d’intérêt des enseignes pour les sujets RSE depuis la sortie du Covid.

En parallèle, le retail staging – à l’image du home staging – émerge comme une solution économique et écologique : réhabiliter un espace à moindre coût, sans tout refaire, avec des interventions ciblées.

Omnicanalité et compétitivité : des défis structurants

L’omnicanal, souvent mal maîtrisé, représente encore une immense marge de progression. « Le parcours client est encore trop souvent un simple parcours logistique », déplore Philippe de Mareilhac. Pour rester compétitif face à TikTok Shop ou Shein, les retailers doivent transformer leurs magasins en expériences complémentaires du digital.

Jean-François Brunet souligne aussi l’enjeu d’équité concurrentielle : alors que les commerçants français sont soumis à des réglementations strictes, certaines plateformes asiatiques ne respectent ni le droit commercial, ni les normes de sécurité, ni les règles douanières. « La concurrence est faussée », insiste-t-il.

La technologie au service de l’expérience sensorielle

Digital signage, sound design, RFID, étiquettes électroniques, réalité augmentée… Les outils technologiques se multiplient pour enrichir l’expérience client. Mais leur usage doit être mesuré. Si les écrans offrent de la réactivité et facilitent la synchronisation des campagnes, ils posent des problèmes écologiques, techniques et parfois… d’overdose pour les clients.

Conclusion : créer de la valeur émotionnelle

Pour exister, le magasin doit proposer plus qu’un lieu d’achat : une expérience, un service, une communauté, un sens. L’avenir du retail passe par la création de valeur émotionnelle, sensorielle et servicielle. Le mot de la fin revient à Margaux Lhermitte : « Les marques fortes créent la préférence. Ce sont elles qui font revenir les clients, pas les écrans ni les promos. »

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